Attention: voir le "dernière minute" plus bas : cette oeuvre est à l'heure actuelle censurée

    Salut Salut!


    Le monde s'écroule mais spacecho reste debout et comme ne parler que de catastrophes dans les dîners en ville est décidément une faute de goût impardonnable, me revoici également, mon gros pot de vernis culturel et mon petit pinceau bien en mains!

    Dans le
    Générateur Poïétique1 , Olivier Auber offrait à l'internaute le dessin comme mode d'expression. Son œuvre (personnelle), le programme, générait des moments de création collective en temps réel sur le web, eux-mêmes générant des séquences vidéos pouvant être considérées comme œuvres (collectives). Chacun de ces moments pouvait réunir 16 internautes simultanément. La dimension principale de l'œuvre était le collectif, la co-création, l'investissement des internautes.

    L'œuvre dont je vais vous parler aujourd'hui ne pourrait pas non plus exister sans l'implication volontaire de son public. Le principe d'auto-alimentation reste identique, même si le projet initial relève plus de la performance que du web-art (mais on a pu voir dans la première chronique* que les deux était proches cousins dans la famille de l'interactivité).

    En effet, le site web découle d'un pique-nique, organisé le 20 Avril 97 dans la cour carrée de la DRAC2 à Montpellier, et durant lequel l'artiste Nicolas Frespech a demandé aux autres invités de lui confier un secret, en échange d'un t-shirt, puis de devenir éventuellement confidents à leur tour.

    N.FRESPECH : "Au départ, j'avais organisé un grand pique-nique avec une nappe géante (conservée au FRAC!). Là, j'ai commencé à établir une relation simple et conviviale avec les invités, je ne les connaissais pas, le secret te pousse à fonctionner en duo, tu effleures le fond des choses, tu regardes les réactions physiques de la personne, gênée, soulagée, curieuse. En échange, je donnais un t-shirt sur lequel était inscrit: "je suis ton ami(e)...tu peux me confier tes secrets". A leur tour, ils pouvaient aller à la pêche aux confidences. Oui, les gens me donnaient de l'immatériel, du sentiment, et moi que du matériel".

    Aujourd'hui, la performance est un site : "je suis ton ami(e)...tu peux me confier tes secrets"

    N.F:
    "Je partais vraiment sur l'idée du vide, de la notion de loisir et si se faire des amis était une activité comme une autre, comme chercher un travail, De là je suis parti sur la notion de secret, de confidence qui est, normalement, la clef d'une relation un peu plus forte que le fait de relever des mails régulièrement et de mettre leur contenu sur le site. Ce travail parle, pour moi, de solitude, et aussi, comme tu l'as dit, il a un côté exhibi".

    Je vous explique le truc :

    Votre conscience vous pèse? Vous ne savez pas à qui confier ce que vous avez fait de plus immonde ou de plus con? Vous êtes devenu allergique à l'encens et pourtant vous auriez bien besoin d'une confession? Vous n'avez pas d'amis? Personne à qui révéler quel est l'objet de votre amour passionné? Aucun collègue à qui crier que vous étrangleriez bien le chef? Vous vous sentez seul?

    Allez déposer le fruit de vos turpitudes ou vos simples sentiments du moment dans l'oreille compréhensive d'un(e) ami(e) virtuel(le).

    Vous n'avez pas eu votre dose de loft? Vous grillez sur place à l'idée de savoir ce que cachent les gens sous leurs petites mines renfrognées? Vous voulez des ragots? Vous voulez être émus?

    Allez lire les secrets des autres!

    Voyeurs et exhibis, tous réunis chez notre ami(e)!

    Tous les sentiments y passent, hypersensibles s'abstenir! Ici c'est le royaume des petites frustrations quotidiennes et des grands espoirs, de l'humour, du désespoir et de la candeur. La tendresse, l'amertume, le désir, le plaisir...que d'émotions, que d'émotion !

    Ce qui est magnifique avec cette œuvre, c'est comment la juxtaposition de phrases d'auteurs différents, à des instants différents, peut générer du sens. Parfois il semble que l'on est en présence d'une seule voix, qui débite des sentences absolues
    ("je m'emmerde" "je n'aime personne" "je hais ma belle-mère" "je voudrai tuer mon chef"...), parfois c'est l'impression de foule bavarde qui domine, ambiance micro-trottoir de collège ("je n'ai eu qu'un chum" "j'aime x" "je déteste mes parents" "j'adore voler dans les magasins"); on y trouvera délires poético-littéraires ("il y a trois petits objets en métal dans le mur" "je communique avec mon amour par le ciel") ou confession sexuelles variées, du plus soft au plus hard (le devenu fameux "je suce les tampax usagés de ma femme"!)

    N.F: "ce que j'aime faire aussi avec le web, c'est l'avant et l'après; le site des secrets comporte deux immenses confidences, l'une artistique, l'autre sur la santé. Elles se valorisent, se dévalorisent en fonctions de leurs voisines!"

    Comme le défilement est aléatoire, vous ne verrez jamais deux fois la même série de phrases dans le même ordre. Là, on retrouve cette idée que les boucles aléatoires de mots génèrent multiplicité de sens, que les juxtapositions sont "parlantes". Interaction productive entre l'œuvre et l'internaute (on livre un secret), interactions entre les interventions elles-mêmes (les secrets se répondent), interaction émotionelle entre l'oeuvre et l'internaute ( l'ordre des secrets déclenche des états psychologiques multiples dans un court laps de temps). Sans compter que par moment certaines confessions revêtent une dimension réellement personnelle tout en s'adressant à tous ("je vous aime").

    N.F: "Je n'opère aucune censure, j'enlève juste les noms des personnes citées (ça arrive assez souvent, là c'est moins un secret, c'est plus une bonne petite délation!). (...) en général, je n'ai que de bons souvenirs, j'aime le web, j'aime bien le rapport que l'on peut créer, détruire, avec les gens. Pour les secrets confiés, je m'interdis d'écrire à la personne une fois le secret dans ma boîte"

    "je suis ton ami(e)..." est une œuvre profondément humaine. A aucun moment il n'est possible d'oublier que l'on est face à l'intimité de personnes réelles, vivant autour de nous au moment où nous lisons leurs secrets. Cette émotion provoquée par l'intime, le personnel, l'habituellement tu, ici exposé, étalé, collecté, cette émotion née de la rencontre du privé et du collectif, c'est celle d'appartenir à la même espèce, d'être tous assez semblables, mine de rien., dans nos différences. Et ça, c'est d'actualité!

    Sinon, vous pouvez télécharger sur le site un économiseur d'écran reconstituant une boucle aléatoire de secrets chez vous. J'ai testé, ça épate pas mal les visiteurs, bon succès. Un peu d'art contemporain chez soi n'a jamais fait de mal à personne!

    Je n'ai pas pu m'empêcher de poser la-question-Boyer-qui-tue : - alors nicolas, heu, tes influences, tes références?

    N.F : "Elles bougent en fonction du temps : Paul mc Carty, Nan Goldin, Douglas Gordon, Pipilotti (Rist), Moriko (Mori)...Livres : Breisner, sculpteur de femmes, Biligham : New-york rage...en musique Portishead, Placebo, Fairuz, et à la télé (que je regarde beaucoup) : Sous le soleil, série sur TF1..."

    Je l'avais bien cherché.... ;-)

    Margoldfinger

 

    1/ voir chronique n°2
    2/ D.R.A.C : Direction Régionale d'Art Contemporain
     
    "Je suis ton ami(e)...tu peux me dire tes secrets" est le premier site Internet à avoir intégré les collections publiques d'art contemporain, par son acquisition par le F.R.A.C (Fond Régional...) Languedoc-Roussillon en 1998.

     

    Dernière minute :

    Depuis le 7 Décembre 2001, le site de Nicolas Frespech, " je suis ton ami…tu peux me dire tes secrets " est interdit de
    diffusion chez son acquéreur, le FRAC Languedoc-Roussillon.
    Acquisition publique, on lui reproche de contenir "des obscénités susceptibles de choquer la sensibilité du public".
    Quelles obscénités, me direz-vous ?
    Des exemples : "j'ai envie de baiser" (qui n'en a jamais eu envie ?), "j'ai 11 ans et je suis obsédé par le sexe" (le problème
    de l'absence d'éducation sexuelle s'exprime) ou encore"je t'emmerde" (ce que l'on peut légitimement penser du conseil
    Régional du Languedoc-Roussillon, d'ailleurs!).

    Au-delà de la censure d'une œuvre artistique, l'on voit bien que c'est la parole populaire que l'on étouffe, puisque cette œuvre
    se construit avec les contributions volontaires des internautes.
    Cela n'étonnera alors personne que cette interdiction émane des amis FN de Jaques Blanc, président du conseil Régional
    qui compose (collabore ?) pleinement avec eux depuis son élection en 98.

    Un appel à créer des " terres d'exil " pour les secrets est lancé.

    J'invite tous ceux qui peuvent héberger cette œuvre sur leur serveur (et les autres, bien sûr) à se rendre à cette adresse
    http://frespech.com/secret/ afin de connaître les détails de l'histoire, manifester leur soutien à Nicolas et écrire leur
    indignation au conseil régional.

    Vous pouvez toujours la voir sur cette "terre d'exil" :
    http://mapage.noos.fr/margoldfinger

 

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